De mémoire de
printemps
il y eut mille immortelles sur
Mars
En posant sa quatrième patte sur le marchepied du gogotabile, Ultimatum miaula de soulagement.
Certes, avant de lancer l’échelle de corde, Croquosel et Paméla l’avaient solidement enroulée autour du corps de Gil, qui était assurément un dromadaire de poids.
N’empêche que jusqu’à la dernière minute, on avait craint la catastrophe :
— Et si l’échelle se rompait ?…
— Et s’il y avait trop de vent ?…
— Et si Ultimatum perdait l’équilibre ?…
Heureusement, tout s’était bien passé !…
Ultimatum referma la portière du gogotabile et s’installa.
Le printemps aussi…
Il se mit soudain à faire chaud dans la cabine, mais chaud !… Un temps à ne pas mettre un phoque dehors !
Sur leur étagère, les marmottes se réveillèrent en sursaut, et les graines de carotte commencèrent à germer…
Il ne s’agissait pas de perdre son temps en discours :
Il restait à peine treize minutes pour quitter Mars !
Croquosel appuya sur la pédale rouge et l’appareil reprit de l’altitude.
Ils s’arrêtèrent juste un instant pour récupérer leurs rêves à la douane… (Bien sûr, ils en fabriqueraient d’autres ; mais il ne pouvaient tout de même pas abandonner les anciens : de si beaux rêves ! Ils avaient si peu servi qu’on les aurait crus neufs…)
Le rêve rouge et noir sauta lestement sur l’épaule de Croquosel : il avait toujours sa guitare.
— J’espère que maman-castor ne s’est pas trop inquiétée ! remarqua Paméla, songeuse, et papa ! Et Simulombula !
Pauvre maman-castor, qui s’affolait au moindre rhume…
À vrai dire, ils s’étaient trouvés emportes jusqu’ici dans un tel tourbillon d’aventures qu’ils n’avaient guère eu le temps d’y songer… et Paméla éprouvait quelques remords.
Ils n’étaient pourtant pas enfants à quitter comme ça leur famille, en la laissant dans l’inquiétude.
En disant au revoir à la Clapiclote les deux petites filles-castor lui avaient bien recommandé d’envoyer un messager à la maison-castor, annoncer qu’ils seraient absents quelques jours. (L’écureuil Frédéric, par exemple, pouvait très bien s’en charger…)
À condition que la Clapiclote n’ait pas oublié. Une fois sans chocolat… savait-on jamais ?
— Mais, dit Croquosel – qui avait la plume facile –, tu te rappelles bien que j’ai aussi envoyé une lettre exprès par pigeon voyageur spécial ?
— Quand ça ? fit Paméla, qui ne se rappelait rien du tout.
— Mais quand nous sommes arrivés au garage du gogotabile, voyons !
— Et qu’est-ce que tu leur disais ? demanda Paméla, les sourcils froncés.
Croquosel n’avait parfois pas plus de cervelle qu’une vulgaire linotte. Pourvu qu’il ne soit pas allé raconter que les enfants partaient pour Mars ! La malheureuse Eugénie Trésorévitch se serait sûrement évanouie de terreur !…
Croquosel eut l’air gêné.
— Allons, insista Paméla, tu ne leur disais quand même pas (j’espère) que nous partions chercher Ultimatum en gogotabile ?
— Oh, bien sûr que non ! affirma Croquosel avec aplomb. Voilà même ce que j’avais écrit, si tu veux le savoir, je le sais encore par cœur :
Cher Papa Castor,
Chère Maman Castor,
Cher Simulombula,
(Croquosel s’était en effet pleinement intégré à la famille…)
Nous venons d’apprendre que le pauvre Ultimatum avait eu un malaise dans la forêt. Comme il faisait un peu de fatigue nerveuse et devait être soigné tout de suite, il a été transporté à la colonie de vacances des gais castors « la joie de vivre », qui était juste à côté… Mais ce n’est pas grave.
Nous allons le chercher ; peut-être resterons-nous quelques jours à la colonie.
Ne vous faites pas de souci. Nous ne ferons pas enrager les moniteurs et nous mangerons notre soupe.
Gros baisers. À bientôt.
Croquosel, Paméla, Clochinette, Agathe et Salamalec.
Brave Croquosel !
Paméla, pour une fois, bénit son aisance à mentir… (Il fallait d’ailleurs reconnaître qu'il mentait beaucoup moins depuis qu’il avait une vraie famille. Quant à cette lettre, eh bien, il était vraiment poussé par les circonstances !)
— C’est égal – soupira ce même Croquosel, quelques secondes plus tard – je suis content de ne pas être resté sur Mars : un pays où il n’y a ni fleurs ni rêves !…
Par les hublots, au fur et à mesure que le gogotabile s’élevait emportant le printemps, ils pouvaient voir, en effet, les fleurs se faner et mourir…
Mars redevenait une grande plaine vide et désolée.
Non, pourtant : quelques petits points brillants demeuraient un peu partout. Saisie d’un pressentiment, Clochinette décrocha la paire de jumelles suspendue à la paroi de la cabine :
— Chouette ! dit-elle, je savais bien, ce sont mes immortelles. Je l’avais bien dit : c’est résistant, les immortelles, ça reste même quand le printemps est parti !
C’est depuis ce jour-là qu’il y a des immortelles sur Mars.